Le régime de l'indivision est souvent méconnu des Français. La plupart d'entre eux y sont pourtant généralement confrontés au moins une fois dans leur vie, à l'occasion d'un divorce ou d'un héritage. Voici tout ce qu'il faut savoir sur le fonctionnement de ce régime juridique qui encadre la propriété d'un bien, notamment immobilier. Un dossier constitué avec l'aide de Jérôme Barré, avocat associé du cabinet Franklin.
L'indivision peut porter sur tous types de biens, que ce soit des actions, des meubles meublants, des obligations, un contrat ou encore une maison ou un appartement. L'indivision est la situation juridique dans laquelle plusieurs personnes détiennent des droits de même nature sur un bien ou un ensemble de biens, sans que leurs parts respectives soient encore individualisées : "chacun en a sa part mais tout le monde l'a en entier", résume Jérôme Barré.
L'indivision a 3 caractéristiques :
1) C'est un droit individuel
Chacun (chaque indivisaire) est propriétaire d'un droit qui lui est propre.
2) L'indivision n'est pas forcément organisée
Ce droit porte sur une fraction d'un bien indivis, sans que les processus de décision ne soient nécessairement organisés à l'avance. Cette situation peut conduire à de nombreux blocages. En effet, il faut l'accord de chacun des indivisaires pour les décisions les plus importantes (voir plus bas). Notamment, on ne peut pas, en principe, forcer l'un des indivisaires à vendre un bien, même s'il est en minorité. Pour éviter ces situations de blocage, il est possible d’organiser la gestion de l’indivision en en fixant les règles du jeu par la mise en place d’une convention d’indivision (voir plus bas).
3) Ce droit est précaire
L'indivision peut être "subie" (on dit alors qu'elle est d'origine légale) ou être "choisie" (on dit alors qu'elle est d'origine conventionnelle).
Des acheteurs peuvent faire le choix d'acheter à deux ou plus en indivision. Il s'agit de l'une des solutions les plus simples du point de vue des démarches à effectuer. Ce peut être le cas par exemple pour l'achat d'une résidence de vacances à plusieurs ménages, ou l'achat d'une propriété par un couple en concubinage.
Mais l'indivision peut également être "involontaire", liée à un événement de la vie : l’indivision peut ainsi trouver son origine dans une succession (lorsqu'il y a plusieurs héritiers), un divorce, ou encore dans la dissolution d'une société. Par exemple, au décès d’un conjoint marié sous le régime de la séparation de biens, le conjoint survivant et les enfants du couple peuvent se retrouver en indivision sur un bien.
Enfin, certaines donations peuvent entraîner a posteriori une situation d’indivision. Par exemple, lorsque des parents donnent la nue-propriété (indivise) d'un bien à leurs enfants (sans pouvoir établir de distinction entre eux) et qu'ils s’en réservent l'usufruit. Au décès des parents, les enfants deviendront propriétaires indivis du bien, ils en avaient d’ailleurs été nus propriétaires indivis. De fait "l'indivision est un régime beaucoup plus commun qu'on ne le pense", commente Jérôme Barré.
Le régime légal de l'indivision est défini par les articles 815 à 815-18 du Code civil. Dans le cadre d'une indivision, certaines décisions doivent être prises à l'unanimité, d'autres nécessitent la majorité des deux tiers des indivisaires, et enfin d'autres encore peuvent être le fait d'un indivisaire seul.
Un indivisaire seul :
Un indivisaire a le droit de prendre seul des mesures dites "conservatoires" au profit de l’indivision toute entière. Il s'agit des actes matériels ou juridiques qui sont nécessaires pour préserver le bien ou éviter sa perte et ce, "même si (ces mesures) ne présentent pas un caractère d'urgence" (article 815-2 du Code civil).
Cela peut par exemple concerner la remise en location du bien. Il y a cependant quelques principes à respecter. Par exemple, on ne pourrait pas avantager un locataire en particulier. Il faut aussi que la location présente un intérêt conservatoire. Cela ne serait pas le cas s’agissant d'une maison de vacances que les indivisaires se partageraient au gré de leurs décisions. Parmi les autres exemples de mesures conservatoires nécessaires, on peut citer la souscription d'un contrat d'assurance ou une mise en demeure de payer à un tiers.
Afin de financer ces dépenses, l’indivisaire pourra utiliser les fonds de l'indivision "sur lesquels il est présumé avoir la libre disposition". Il faut cependant que les dépenses soient considérées comme raisonnables ou proportionnées aux enjeux et/ou à la valeur du bien. Un indivisaire ne pourrait pas forcer les autres indivisaires à dorer à l'or fin les poignées d'une modeste maison de campagne par exemple.
En cas de refus des co-indivisaires de contribuer au financement, "le cas échéant, un indivisaire s’adressera au juge (du Tribunal de Grande Instance) afin de réclamer aux autres indivisaires le paiement de la quote-part leur revenant", précise Jérôme Barré.
La majorité des deux tiers des indivisaires :
La majorité des deux tiers est requise pour les actes d'administration relatifs aux biens, c’est-à-dire des actes relevant de la gestion normale du bien ayant pour but d’en conserver la valeur ou de le faire fructifier. A cet égard, "il peut s’agir de la signature d'un mandat de gestion, de la réalisation de certains travaux d’amélioration des biens, de la vente de biens meubles pour payer des dettes de l’indivision, de la signature ou du renouvellement des baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial et artisanal", détaille Jérôme Barré.
A l'unanimité :
Les actes "graves" doivent être décidés à l'unanimité. Il s’agit de l’ensemble des actes qui n’entrent pas dans le cadre de la gestion normale du bien en indivision et qui seraient susceptibles d’en compromettre la substance.
L’exemple le plus parlant est celui de la vente du bien immobilier. Il pourrait également s’agir "de la réalisation de gros travaux tels que l’extension d'un bâtiment, la construction d’une piscine, de la conclusion d’un bail commercial ou rural, ou encore de la souscription d’un emprunt au nom de l’indivision ou encore consentir une hypothèque", décrypte Jérôme Barré.
Chaque indivisaire a le droit d'utiliser le bien indivis en fonction de ses besoins, "à la condition que cet usage soit conforme à la destination du bien et ne compromette pas les droits concurrents des autres indivisaires", note Jérôme Barré.
Chaque indivisaire a également le droit de jouir de sa part des revenus ou des bénéfices annuels de l'indivision. Il peut obtenir une avance en capital si l'ensemble des indivisaires donnent leur accord.
Par ailleurs, "nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué" (article 815 du Code civil). C'est l'un des principes fondamentaux de l’indivision. Le droit de provoquer la vente en vue du partage est un droit absolu (un seul indivisaire peut le décider, même si son unique but est de nuire aux autres indivisaires), imprescriptible et impératif (il s'impose quoi qu'il arrive, y compris au juge).
Conséquence du droit de demander le partage : chaque indivisaire aura la faculté de disposer de ses droits indivis. Ainsi, si l'un des propriétaires souhaite vendre sa quote-part, aucun des indivisaires ne peut s'y opposer.
Mais, l'indivisaire dispose également d’un droit de préemption. Autrement dit, lorsqu'un autre indivisaire veut céder ses parts, il doit proposer en priorité le rachat aux autres indivisaires Ainsi, si un indivisaire souhaite céder ses parts à un acquéreur étranger à l’indivision, il doit, en premier lieu, faire connaître aux autres indivisaires les prix et conditions de la cession envisagée. Les autres indivisaires auront alors un mois pour prendre position. Si aucun d'entre eux n'est preneur, il a alors le droit de vendre ses parts à un tiers.
On notera que le droit de préemption ne peut pas être exercé contre le bénéficiaire d’une donation (par exemple, dans le cadre d’une donation des parts indivises à ses enfants).
En face des droits, les indivisaires ont bien sûr des obligations. L'indivisaire doit notamment veiller à la conservation du bien, participer aux dépenses et s'acquitter des dettes.
En pratique, le consentement de l’ensemble des co-indivisaires peut être difficile à obtenir, conduisant à des situations de blocage, en particulier lorsque l’unanimité est requise pour effectuer certains actes de disposition.
En principe, un indivisaire qui souhaite réaliser un acte portant sur un bien indivis peut solliciter l’autorisation du juge lorsque le refus de l’un des indivisaires met en péril l’intérêt commun.
Par ailleurs, il existe une procédure judiciaire spécifique en cas de blocage de la vente d'un bien par un ou plusieurs indivisaires. Dans cette hypothèse, les autres indivisaires peuvent faire appel au juge (TGI) à condition de représenter la deux tiers des droits indivis. Ils doivent alors faire une demande d’aliénation devant notaire avant de demander au TGI d'autoriser la vente. Attention cependant car il ne faut pas que cela porte atteinte de façon excessive aux droits des indivisaires réfractaires à la vente. Par exemple, on ne peut pas vendre à prix cassé dans ce cadre.
A défaut d'accord entre les indivisaires, le droit d'usage du bien indivis (par exemple qui peut profiter d'une maison et quand) pourrait également être réglementé par le juge.
Par ailleurs, lorsque certains indivisaires refusent de contribuer aux charges, un indivisaire (même seul) pourrait recourir au juge.
L'indivision mal préparée ou mal organisée est source de conflits entre les différents indivisaires et les situations de blocage sont très courantes dans la pratique. Il est toutefois possible de prévenir certaines de ces situations conflictuelles en réglant l’exercice des droits indivis par le biais d’une convention d’indivision. Une convention d’indivision est un contrat entre les indivisaires qui organise les rapports au sein de l'indivision. La liberté de s'organiser est alors très grande, pour autant, il ne saurait être dérogé à certains principes du régime légal de l’indivision qui demeureront applicables.
Dans certaines limites, une convention pourra obliger un maintien temporaire dans l’indivision pour une durée maximum de 5 ans, notamment afin d’en pérenniser la gestion, limitant ainsi le droit de partage des indivisaires.
En outre, la convention peut prévoir que la prise de certaines décisions (sauf la vente) ne nécessitera qu’une majorité plus souple des indivisaires (par exemple, au-dessus de 50% des parts indivises). La convention peut également organiser l’usage et la jouissance des biens indivis, prévoir la désignation d’un gérant, organiser des modalités de sorties plus souples des indivisaires, ou encore prévoir une clé de répartition des droits, bénéfices et pertes entre les indivisaires. Une convention peut ainsi prévoir qu'au moment de la sortie ou du débouclage de l’indivision, ceux qui ont engagé plus de fonds ou pris plus de temps pour la réalisation du projet obtiennent un fruit supérieur à ceux des indivisaires qui n’auraient pas contribué autant.
Il faut bien sûr obtenir le consentement de tous les indivisaires au moment de la signature de la convention. Par ailleurs, il sera préférable de faire appel à un avocat spécialisé ou un notaire pour rédiger la convention, ce qui coûte généralement quelques milliers d'euros.
La sortie d'une indivision correspond à la vente du bien indivis en vue du partage du fruit de cette vente. A n'importe quel moment, le partage peut être décidé à l'amiable à l'unanimité des indivisaires ou être provoqué via une procédure judiciaire devant le TGI.
Comme il a été précédemment expliqué, sous certaines conditions, une convention d'indivision peut prévoir un sursis au partage pour une durée maximum de 5 ans (renouvelable tacitement). Ainsi, l’indivision peut durer au minimum 5 ou 10 ans.
SOURCE : LA VIE IMMO